Carnet de bord #9 : Levée de fonds : mythe et réalité !
Pourquoi, quand et comment nous avons levé des fonds au Drive tout nu.
Hello à tous,
Je suis ravie de vous retrouver aujourd’hui ! Bienvenue à tous les nouveaux inscrits !
Dans ce 9ème Carnet de bord, je vous parle de pourquoi et comment nous avons levé des fonds.
Pour les nouvelles personnes qui nous ont rejoints cette semaine : Bienvenue ! Je m’appelle Salomé Géraud, et j’ai co-fondé avec Pierre en 2018 Le Drive tout nu, premier réseau de Drives et de supermarchés 0 déchet dans le monde.
Chaque lundi, je vous raconte notre histoire d’entreprise familiale, nos avancées et mes apprentissages à travers les montagnes russes de l’entreprenariat à impact positif ! De 0 à 100 000 commandes, de 1 à 50 salariés, mais aussi de 0 à 3 enfants 🐣, dans ce Carnet de bord je vous partage une rétrospective de ces 6 dernières années et les coulisses de notre aventure !
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Let’s go !
Intro
La semaine dernière, j’ai pris un appel avec une entrepreneure qui souhaitait que je lui partage quelques conseils sur notre parcours de changement d’échelle. Nous parlons bon train de management, de modèle de réplication, de succursales et de franchises. A un moment de la conversation, elle me dit quelque chose qui me surprend beaucoup : “Et toi qui a la réputation de lever des fonds en claquant des doigts, que penses-tu de faire entrer des investisseurs à son capital”?
Me voilà bien surprise par cette remarque ! En effet, lever des fonds est certainement le processus le plus long, compliqué et épuisant que nous ayons eu à conduire (à 3 reprises qui plus est!). Je me suis donc dit qu’il serait intéressant de déconstruire ce mythe en vous parlant du processus, mais aussi de nos apprentissages sur le sujet !
1. Pourquoi nous avons pris cette décision
C’est en 2019 que nous avons pris la décision avec Pierre de lever des fonds pour la première fois. Ce choix a été le fruit d’un vrai cheminement. A cette époque, Le premier Drive tout nu, ouvert depuis quelques mois, fonctionnait bien. Le projet avait rencontré une telle résonance auprès de la presse que nous étions contactés de toute part pour répliquer le projet au quatre coins de la France. Et nous avons commencé à être approchés par divers fonds d’investissements qui montraient un réel intérêt pour le potentiel de marché de l’économie circulaire et de l’agriculture responsable.
A cette époque, deux choix s’offrent à nous :
1- celui d’attendre patiemment que le premier Drive tout nu génère l’excédent de trésorerie nécessaire au déploiement d’un second, puis d’un troisième et ainsi de suite.. Cela aurait pris plusieurs années. Cela aurait aussi eu comme conséquence de continuer à devoir être partout avec Pierre, au nettoyage des bocaux comme à la comptabilité, en passant par les achats, le marketing et le service client. Cette première option impliquait également de s’asseoir complètement sur la bande-passante pour nous pencher sur le développement national du projet et donc de renoncer à l’opportunité que nous offraient tous ces porteurs de projet de répliquer notre impact sur d’autres territoires.
2- celui de lever des fonds, une somme qui nous permettrait dans un premier temps de structurer et professionnaliser notre service et de recruter une première équipe support autour de nous (les fameux experts généralistes dont je vous parlais dans le Carnet de bord n°8).
Un peu effrayés par les implications mais forts de l’idée que cette seconde option nous permettrait d’avoir de l’impact plus fort et plus vite, nous décidons donc de nous lancer dans l’aventure de la levée de fonds. Mais pas auprès de n’importe qui : uniquement auprès d’investisseurs de l’économie sociale et solidaire qui partagent nos valeurs.
Il y avait une véritable opportunité d’accélérer à ce moment là, et nous avons souhaité la saisir !
Configuration des étiquettes à la main, une à une, avec Véro, la sœur de Pierre !
2. Concrètement, ça se passe comment ?
Nous voilà donc partis, avec nos bâtons de pèlerins, pour rencontrer un maximum de fonds d’investissement au capital patient. Pour notre première levée de fonds en 2019-2020, nous décidons de mener cela seuls de A à Z. Nous voulions tout comprendre du processus, toutes les implications, rencontrer ces gens avec qui nous allions “faire alliance”. Car une levée de fonds, celaa ressemblait bel et bien à mariage.
- la première étape a consisté à rencontrer le plus d’investisseurs possibles. C’est le fameux road show. Nous sommes allés rencontrer, essentiellement à Paris, tout un tas de chargés d’affaires de fonds d’investissement spécialisés dans l’économie sociale et solidaire. Nous y sommes allés avec un plan précis, plein d’entrain et de confiance dans le potentiel de développement de notre projet. Notre but était de les convaincre que nous deux, en tant qu’entrepreneurs, nous avions les épaules pour faire grandir notre petite barque, faire monter à bord les bonnes personnes et mener tout l’équipage vers le développement de notre impact.
Lors de ces entretiens, nous savions généralement dès les premières minutes si nous allions pousser plus loin les échanges. Il nous est arrivés de nous sentir complètement en décalage avec certains représentants de ce monde de l’investissement qui parlaient à grand renfort de sigles. Parfois, certains chargés d’affaires ne s’adressaient qu’à Pierre, sans un regard pour moi. Comme si les questions financières étaient réservées aux hommes ou que j’étais trop bête pour comprendre les enjeux (d’ailleurs aujourd’hui, au comité stratégique : que des femmes mis à part Pierre - une petite fierté personnelle!)
Heureusement avec certains, le feeling a été immédiat. Je me rappelle très bien de nos premières entrevues avec Anne, Judith-Laure, Marion et Nicolas (les 4 directeurs d’investissements de nos premiers fonds) et leurs équipes. Nous sentions que nous étions alignés sur les valeurs, qu’ils croyaient fort en nous, en notre projet.
- une fois l’intérêt de ces quelques fonds triés sur le volet validé, s’enclenche une nouvelle étape que l’on appelle due diligence. C’est une phase de production très chronophage de documentation : une présentation très détaillée du projet (le fameux pitch deck), un business plan qui ne cesse d’évoluer au fil des échanges, la réunion d’un millier de documents juridiques et administratifs. C’est un moment où Le Drive tout nu a été passé au crible. Les représentants des fonds ont mené leur enquête sur nous, notre équipe, nos résultats, nos chiffres, notre impact ! Que cette période nous a paru chaque fois longue et énergivore. Car le reste de la terre ne s’arrête pas de tourner entre temps ! A cette période, il nous a fallu continuer d’assumer nos tâches opérationnelles et faire tourner l’entreprise qui ne pouvait pas se passer de nous pendant plusieurs mois. Nous travaillions la journée, répondions aux fonds le soir et les week-ends, c’était éreintant ! Nous manquions à l’équipe et cela se ressentait aussi dans leur moral sur le terrain.
- L’étape ultime est ensuite celle du comité. Une fois tous ces documents étudiés et validés vient le jour du grand oral ! C’est un moment décisif. A nous de convaincre ses membres (généralement 5 à 15 personnes) que notre projet en vaut la peine ! Il nous a fallu y mettre tout notre cœur et toute notre énergie ! La première fois, j’étais enceinte de 7-8 mois. La seconde, Zoé avait à peine quelques jours et j’ai du défendre le projet en jonglant avec l’allaitement et les nuits hachées. De drôles de souvenirs ! Mais quel bonheur de recevoir l’appel et le grand OUI de la part nos 4 premiers fonds, souvent à l’unanimité du comité !
Quelques heures avant le Comité d’investissement de Colam Impact, à 7 mois et demi de grossesse chez Gaetan, un de nos meilleurs amis qui nous a donne de très précieux conseils ! Quand je repense à cette période, je repense aussi à ces beaux moments et nos longues discussions à ce sujet.
- Nous pourrions penser qu’une fois l’accord de principe acquis, l’essentiel serait fait. Or, nous n’en sommes généralement qu’à la moitié du chemin. C’est le moment des (parfois âpres) négociations. On finalise la valorisation de l’entreprise. C’est à ce moment-là que les avocats entrent généralement en scène pour négocier au plus près des fondateurs les termes et conditions du pacte d’associés. On fixe les futures règles de gouvernance et qui siègera au comité stratégique ! Pour le premier tour de levée de fonds en 2020, nous avions 4 fonds autour de la table, en 2022, ils étaient 6 ! Je vous laisse imaginer la complexité de mettre tout le monde d’accord sur toutes les clauses et pour comprendre tout ce vocabulaire juridique qui nous était parfaitement étranger jusqu’à lors !
- Mais il vient enfin, ce closing : c’est le grand jour, on est tous d’accord et tout le monde signe ! Dans notre cas, en 2020, c’était 10 jours tout pile avant que j’accouche. En 2022, j’avais accouché moins de deux mois avant. A chaque fois, nous avons ressenti un immense soulagement que le processus soit terminé. Après 9 mois à nous partager entre Toulouse et Paris, nous allions pouvoir remettre 100% de notre énergie au service du Drive tout nu.
La 3e levée de fonds, participative et citoyenne, est un tout autre processus dont je vous parlerai dans un Carnet de bord ultérieur !
3. Et l’après alors ?
Une fois les fonds versés, nous nous sommes donc retrouvés avec une somme importante sur le compte en banque de l’entreprise (pas sur le nôtre, il a fallu le préciser autour de nous!!) A ce moment là, il nous a été important d’éviter plusieurs écueils :
- celui de dépenser cet argent n’importe comment (d’où l’importance d’avoir un plan très structuré en amont!). Mais nous avons toujours été précautionneux.
- celui d’avoir peur de dépenser cet argent et de l’investir au bon endroit et dans les bons recrutement (car un tel matelas de trésorerie pour les années à venir : quel confort au fond!)
Cela a aussi été une période de transition pour notre équipe :
- de nouvelles recrues sont arrivées. C’est l’époque où nous avons créé les pôles informatique, marketing et communication, suivis ensuite du pôle marchandise et du pôle RH et finances. Il a donc fallu veiller à ce que la mayonnaise prenne entre les équipes terrain et les équipes support. Il a aussi fallu gérer l’arrivée du management intermédiaire, et comme je le disais dans Le Carnet de bord précédent, cette évolution a un peu secoué nos équipes.
- il a aussi fallu que chacun apprenne à s’ajuster à ce nouveau contexte. Je me rappelle quand nous avons annoncé que nous avions bouclé le tour à 5 millions d’euros. D’un coup, certains avaient l’impression que nous disposions de tous les moyens du monde et que nous pouvions nous permettre une certaine folie des grandeurs sur le matériel ou les salaires. Or, cet argent venait en soutien d’un plan de dépenses et de recrutement bien précis. Aucun écart n’était possible, au risque de mettre en péril l’intégralité de l’entreprise.
Une dernière chose nous a tenu particulièrement à cœur à tous les deux, car c’est dans l’ADN du Drive tout nu depuis ses débuts. Bien que certains pôles (marketing par exemple) disposaient désormais d’un peu plus de moyens qu’auparavant, il était important pour nous que les équipes continuent d’avoir le réflexe de travailler avec le plus de débrouillardise possible. Nous voulions que cette culture là se perpétue. Je suis persuadée que ce ne sont pas forcément les projets les plus chers qui sont les plus réussis. Au contraire, il me semble qu’un environnement budgétaire contraint nous encourage systématiquement à être plus créatifs et à nous démarquer !
Ici devant Le Drive tout nu avec Marion, Directrice d’investissement chez Makesense, qui suit, soutient et défend notre projet depuis ses débuts ! Le projet ne serait pas le même sans elle !
4. Ce qui change au quotidien
Et bien, plus de choses qu’on ne le pense ! C’est pourquoi il faut toujours très sagement réfléchir cette décision :
- faire rentrer des investisseurs au capital, c’est comme se marier. Bien qu’avec Pierre, nous disposons toujours de la majorité, nous ne sommes plus les seuls à bord. Bien sur, nous avons cadré les choses au maximum pour garder la main sur les décisions opérationnelles et stratégiques. (D’ailleurs, un.e bon.ne chargé.e d’affaire a l’humilité de savoir que l’opérationnel, c’est votre métier, pas le sien). Toutefois, ces personnes font désormais un bout de chemin avec nous et quand nous avons des idées, des projets, des changements de direction, il nous faut désormais les convaincre, les embarquer avec nous ! Cela demande de l’énergie et nous coupe naturellement d’une partie de notre agilité. Mais si c’est bien fait, cela enrichit également le projet : “Rendre compte, c’est se rendre compte”.
- cela nous demande d’y consacrer un certain temps, de reporting notamment. Nous avons un point mensuel avec notre comité, au sein duquel nous passons en revue nos chiffres et nos différents objectifs ainsi qu’un comité trimestriel, à visée plus stratégique. Nous les préparons avec grand soin. Dans l’année, chaque fond a aussi besoin de différents documents de reporting financier et d’impact. Cela prend donc du temps !
- enfin, une fois que nous sommes entrés dans ce mécanisme de levée de fonds, nous avons du prendre conscience que, jusqu’à l’atteinte de la rentabilité de l’entreprise, il nous faudrait remplir consciencieusement nos objectifs. Le rôle des investisseurs est aussi de veiller au grain de ce côté là, pour ne pas que la trésorerie s’évapore sans que les choses avancent !
Conclusion
Lever des fonds n’est pas pour tout le monde !
Nous proposons une innovation d’usage, un changement de paradigme profond dans la façon d’aborder la consommation et cette acculturation prend du temps. Un temps pendant lequel nous devons continuer d’améliorer notre service, professionnaliser ce que nous faisons, pour convaincre de plus en plus de personnes de rejoindre le mouvement et faire grandir notre impact. Il nous a très vite fallu réunir autour de nous les meilleurs cerveaux pour faire grandir l’impact du projet, et c’est cela qui nous a motivé à lever des fonds sans jamais l’avoir regretté. Si l’équipe est ce qu’elle est, c’est grâce à ces fonds qui nous font confiance. Toutefois, il faut être prêt à céder une partie de la valeur que vous vous levez chaque jour pour créer, ainsi qu’une partie de votre agilité :)
Et j’ai par ailleurs un immense respect pour toutes les entreprises qui s’en passent ! Ne vous laissez jamais aveugler par des chiffres mirobolants, ce n’est jamais ce qui définit in fine la valeur d’une entreprise et les valeurs qu’elle porte !
La question de la semaine
Chaque semaine, vous avez la possibilité de me poser une question sur l’aventure, à laquelle je réponds dans le Carnet de bord suivant! Aujourd’hui, je réponds à Thomas : “Pourquoi vous lancez-vous dans un Supermarché physique. N’est ce pas risqué dans le contexte actuel”?
Il y a deux questions dans la question.
Au Drive tout nu notre mission est de permettre à nos clients de faire leurs courses du quotidien en version 0 déchet et responsable. Le Drive est au service de cette mission, pour simplifier au maximum la vie de nos clients. Or, les courses en drive ou en livraison ne représentent que 10% des courses des français. Les 90% restants sont faites en physique. C’est pour toucher ces 90% de personnes qui font leurs courses en magasin que nous ouvrons Le Super tout nu, pour faciliter encore plus la vie de nos clients qui pourront trouver à chaque moment le service le plus adapté pour eux : drive, livraison ou supermarché. Par ailleurs, cela ne modifie pas notre organisation logistique de la consigne et nous permet même d’être plus efficaces.
Est-ce risqué ? L’essence de l’entreprenariat est de prendre des risques en conscience. En France depuis début 2022, c’est la première fois que l’INSEE récence une déconsommation dans l’alimentaire. Grandes surfaces, magasins spécialisés bio, épiceries vrac, tous les canaux sont en difficulté. Or dans toute décroissance il y a en parallèle l’essor d’un nouveau monde. Nos ventes ont continué à croitre depuis 2022 (+59% au dernier trimestre 2023) et parlent pour nous. Nous sommes convaincus de faire partie du nouveau paradigme.
On en discute !
Et vous, racontez moi en commentaire :
Avez-vous déjà pensé à lever des fonds ? Connaissiez-vous le processus ? Quelles idées reçues aviez-vous sur le sujet?
Et si cette newsletter vous a plu, je vous invite à la liker ci-dessous et à la partager à vos proches ! C’est ce qui m’aide à la faire grandir !
Hâte d’avoir vos retours :)
Salomé